L'ergonomie éditoriale ou l'art de bâtir une architecture de l'information
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Nombreuses sont encore les personnes qui négligent l'ergonomie éditoriale et concentrent tous leurs efforts sur les techniques d'écriture, pensant que celles-ci suffisent pour partager et publier un contenu de qualité sur Internet. Pourtant, la spécificité de la lecture sur l'écran amène à repenser la mise en valeur de l'information et la manière de la structurer pour la rendre accessible à l'internaute. C'est justement à cela que s'attache l'ergonomie éditoriale : à réfléchir à la meilleure tactique à emprunter pour s'adapter aux "contraintes" techniques du web et faciliter au maximum la navigation du lecteur en travaillant notamment sur l'organisation des contenus. En somme, à mettre en place une scénarisation du texte afin de pousser l'internaute à approfondir sa lecture.
Les enjeux de l'ergonomie éditoriale
Eve Demange, auteur du
blog Plume Interactive et spécialiste de ce domaine en France, explique quelles sont les spécificités et les enjeux de l'ergonomie éditoriale :
"L'ergonomie améliore l'utilisation des sites Internet en repensant un certain nombre d'éléments comme la structure de l'information, l'enchaînement des pages, le design
. L'ergonomie éditoriale s'assure que les termes utilisés pour guider la navigation sont suffisamment clairs, suffisamment courts, qu'ils permettent aux visiteurs de trouver leur chemin facilement. Il ne s'agit pas de rédiger ou réécrire un texte en l'adaptant à la lecture web
(même si cela améliore aussi l'ergonomie éditoriale), il s'agit de peser les mots. C'est un travail différent, spécifique au média web
. Un bon rédacteur web
peut faire ce travail, mais également un designer
d'expérience ou un ergonome sensible à l'éditorial."
Les spécificités de la lecture à l'écran
Source illustration : site du zéro
Cette discipline repose sur le constat que les internautes lisent et appréhendent l'information différemment en ligne. Eyetracking a mené une
étude , sous la direction de
Jakob Nielsen , afin de capturer les mouvements de l'oeil de l'internaute sur l'écran et d'analyser ce qu'il regarde vraiment lorsqu'il est en train de lire une page
web . Ces mouvements sont représentés graphiquement ci-contre par des zones colorées. Ainsi, les zones rouges sont celles qui ont été les plus regardées par l'internaute, les zones jaunes ont fait l'objet de moins d'attention, les zones bleus encore moins. Quant aux zones grises, elles n'ont tout simplement pas été vues. Si l'on en croit cette étude, les internautes auraient dont tendance à scanner la page, a effectuer une "lecture en diagonale"en s'arrêtant sur le haut de la page, le premier paragraphe et le début des paragraphes suivants.
D'autres études ont montré que bien avant les illustrations, l'internaute remarquait les titres et le texte. Ce qu'il ressort des différentes études menées c'est que
ce sont les mots qui guident l'action des internautes .
Quelques bonnes pratiques
Sans entrer dans les détails des diverses études menées sur ce sujet, il ressort quelques principes de base pour optimiser la navigation de l'internaute, favoriser sa lecture et l'inciter à revenir. Schématiquement, ils tiennent compte de deux aspects principaux : le confort visuel et l'accessibilité du contenu (c'est-à -dire la manière d'en faciliter la compréhension).
En ce qui concerne
le confort visuel , quatre pratiques sont recommandées :
Veiller à ne pas augmenter la charge informationnelle de son article en utilisant trop de couleurs et de typographies différentes ou en mettant des images de fond/des animations trop envahissantes.
Optimiser les couleurs employées en préférant un contraste positif (fond clair/caractères sombres) plutôt que négatif (fond sombre/caractères clairs). Le contraste positif se révélant moins fatigant pour la vision.
Écrire en minuscules plutôt qu'en majuscules pour les mêmes raisons évoquées.
Créer des décrochages visuels pour capter l'oeil en ayant recours aux listes à puces, aux balises d'en-tête (h1, h2, strong...) qui donnent de la signification au texte, aux blocs de citations (blockquotes ) etc.
Pour améliorer
l'accessibilité du contenu , il est conseillé de :
Organiser son contenu de façon à ce que l'internaute délimite facilement le début et la fin des différents thèmes traités.
Aérer sa page web en hiérarchisant l'information : paragraphes, titres courts mais descriptifs (ils doivent renseigner le visiteur sur ce qu'il va trouver) etc.
Faire des liens externes pertinents et explicites pour proposer des axes d'approfondissement au sujet traité et enrichir ainsi son contenu.
Placer les titres et les informations importantes en début de ligne.
Préférer plusieurs articles relativement courts à un article trop long et trop riche en informations ou proposer un format imprimable (PDF par exemple) pour les textes longs.
Illustrer son article car une image accolée à un texte a le pouvoir d'améliorer sensiblement la mémorisation de l'information. Elle stimule l'apprentissage des données.
Varier les constructions de phrase pour mettre en valeur les mots porteurs de sens.
Pour aller plus loin
Livre "la coopération, nouvelles approches" version 1.0
Paradoxe : Le système EPM
Un projet ne se développe pas simplement parce que les participants font bien ce qu'on leur dit de faire, mais aussi parce qu'ils s'impliquent.
Au début de l'ORTF (Office de Radio et Télévision Française), les équipes travaillaient dans une grande émulation. De nombreuses premières ont ainsi été rendues possibles grâce à des groupes de personnes passionnées qui inventaient la télévision (la façon de filmer une dramatique, le mécanisme d'incrustation qui permet d'ajouter un fond derrière un présentateur...). Il y eut des innovations merveilleuses et bien sûr également de nombreuses erreurs commises.
Pour financer la télévision qui devenait de plus en plus chère, la publicité fut introduite. Petit à petit, un effet pernicieux apparut : Au moment de la publicité, il fallait que le maximum de personnes regardent la télévision. Il ne devenait plus possible de prendre le risque d'un flop. Les orientations des émissions étaient clairement définies et choisies AVANT par les gestionnaires. L'innovation et la créativité devenaient des facteurs de risque. Les personnes qui réalisaient les émissions devinrent les exécutants de projets entièrement définis et calibrés. Ils perdaient au passage le plaisir de la découverte et la reconnaissance lorsqu'ils inventaient quelque chose d'extraordinaire. Une autre forme de reconnaissance était accordée non plus aux innovateurs mais à ceux qui avaient une place visible grâce à la diffusion grandissante du média. Il devenait intéressant de lutter contre les autres pour obtenir les meilleures places, les meilleurs titres et même la célébrité.
Ceux qui ont voulu continuer à innover ou faire de belles choses se sont vus de moins en moins reconnus, se sont découragés et sont tombés dans le système que François de Closet appelle le système EPM ("Et Puis Merde...")
1 .
Laissez les meilleurs contributeurs s'approprier des morceaux du projet
Lorsque les émissions de télévisions sont devenues des événements critiques, il a fallut supprimer le droit à l'erreur. Mais l'innovation et la créativité sont des processus non robotisés. Elles imposent souvent de nombreux échecs pour arriver à une idée géniale. Une planification précise prévoyant ce qui doit se passer tue l'innovation. Ainsi, Norbert Alter
2 explique que les innovateurs ne sont pas reconnus au début et même souvent rejetés.
A l'inverse, une des particularités des projets coopératifs est que le coordinateur-propriétaire ne détient finalement que le droit de modifier comme il le souhaite son projet. Chacun peut aller et venir sur son "territoire". Plus les passants auront envie de s'y arrêter et de s'y établir et plus le projet s'enrichira. Pour retenir les meilleurs contributeurs et les plus actifs, il est bon de leur laisser un petit morceau de la propriété sous la forme d'un sous-projet qu'ils peuvent ensuite coordonner, même si ce qu'ils en font n'est pas prévu au départ.
La clé est d'adopter un "laisser-faire actif" tant que les propositions vont dans le sens du projet. Par exemple, il vaut mieux autant que possible que chacun puisse choisir son rôle, cherchant alors à s'investir dans les fonctions non ou mal remplies pour "trouver sa place", plutôt que d'affecter des rôles à l'avance. La théorie des files d'attente présente bien ce genre de rééquilibrage
3 .
La contrepartie du don
Comme nous l'avons vu, coopérer à un projet, et même s'investir et donner sans attendre de contrepartie immédiate n'est pas forcément un acte altruiste mais une façon de concilier son intérêt personnel avec l'intérêt collectif en différant et globalisant la contrepartie reçue.
Les biens consommables (ou leur équivalent en argent) sont assez mal adaptés pour constituer une contrepartie efficace, car on se retrouve alors avec un simple échange basé sur une évaluation unitaire de chaque don. Cela montre qu'il est difficile de vivre uniquement du don car nous avons également besoin, entre autre, de biens de consommation pour assurer nos besoins vitaux. Nous verrons cependant que par un effet de ricochet, les gains plus immatériels obtenus dans un système de don peuvent dans un deuxième temps grandement faciliter l'obtention de ces biens matériels.
Les gains que l'on peut s'attendre à recevoir à la suite de ses dons sont de trois ordres :
Le savoir-faire
Le plaisir
La reconnaissance
Dans l'économie d'échange, on obtient en contrepartie de son travail le développement d'un savoir-faire et de l'argent qui permet indirectement de satisfaire ses besoins vitaux et d'acheter ce qui peut faire plaisir (même s'il est possible et souhaitable de prendre du plaisir directement dans son travail).
Dans l'économie du don, on obtient en contre partie de son travail le développement de savoir-faire et du plaisir, ainsi que de la reconnaissance qui permet éventuellement d'obtenir indirectement une valorisation du statut social pour mieux satisfaire ses besoins vitaux.
Le sentiment du travail bien fait constitue également une gratification pour ceux qui y sont sensibles. Il s'agit d'un sentiment personnel indépendant des réactions collectives, nous ne le détaillerons donc pas ici.
Première contrepartie :Le savoir-faire
Toute participation à un projet doit permettre d'acquérir des savoir-faire dans les domaines opérationnels où nous nous impliquons, mais également le sens de la participation et de la gestion de projets. De ce point de vue, on peut comparer l'acquisition de savoir-faire à ce qu'une société dans l'économie d'échange cherche à obtenir avec son budget formation et son budget recherche et développement.
Deuxième contrepartie : Le plaisir
Cela pourrait sembler un bien faible résultat que l'on peut obtenir de bien d'autres façons. Pourtant, dans l'économie d'échange également, une fois nos besoins vitaux remplis, l'argent sert principalement à contenter notre besoin de plaisir et même notre besoin de paraître et notre besoin de montrer à autrui notre réussite sociale au travers de biens plus luxueux et de voyages, spectacles, etc. Dans les projets coopératifs le plaisir n'est plus apporté indirectement grâce aux gains en argent, mais directement par le projet lui-même. Il s'agit même d'un critère primordial dans la gestion du projet : celui-ci doit permettre aux participants d'y trouver du plaisir et en contrepartie, le plaisir agit comme un moteur pour susciter l'implication qui est une des clés de la réussite de tout projet.
Troisième contrepartie : La reconnaissance
Il s'agit d'un gain fondamental dans un projet coopératif libre. De la même façon que l'économie d'échange n'apporte pas directement la satisfaction des besoins vitaux mais apporte l'argent qui permet de les prendre en charge, la reconnaissance apporte par ricochet plusieurs avantages :
Un moyen très efficace pour attirer la coopération des autres dans les projets que nous pourrions proposer.
La satisfaction du besoin de reconnaissance que nous avons tous.
L'augmentation des moyens (embauche, promotion) qui résulte de façon indirecte de l'estime que nous suscitons ou des titres que nous avons acquis.
Les deux dernières contreparties sont souvent reniées par les purs et durs des projets bénévoles. Le besoin de reconnaissance fait trop penser à sa version pervertie : l'égocentrisme. Quant à l'augmentation des moyens, il n'est possible de l'ignorer que si l'on a résolu tous ses besoins vitaux et obtenu la sécurité. Si cet avantage est souvent nié c'est qu'il comporte des risques importants de déviations comme nous le verrons plus loin. Pour donner une comparaison, la reconnaissance permet d'obtenir ce qu'une société dans l'économie d'échange recherche grâce à son budget
marketing ou communication.
De nouveau, quelque chose qui peut sembler négatif dans notre environnement où l'intérêt individuel est antinomique avec l'intérêt collectif, devient un fondement du projet coopératif lorsque l'intérêt individuel et l'intérêt collectif sont réconciliés.
Les déviations de la reconnaissance
La reconnaissance joue dans l'économie du don le rôle de l'argent avec les différences que nous avons déjà identifiées : évaluation globale
a posteriori sur tous les dons. La contrepartie n'est pas demandée mais reçue de l'ensemble de la communauté.
Il faut plus de temps pour " toucher " sa première paye, ce qui explique qu'une économie du don marche d'autant mieux que les acteurs ont déjà résolu leurs besoins vitaux et peuvent se concentrer sur d'autres besoins moins urgents (besoin de reconnaissance, plaisir, acquisition de savoir-faire, faciliter la coopération des autres dans des projets futurs...).
Nous avons vu cependant que deux de ces gains au moins (la satisfaction du besoin de reconnaissance et l'augmentation des moyens) comportent des déviations possibles.
En particulier, la satisfaction du besoin de reconnaissance peut pousser à l'égocentrisme. Dans ce cas la reconnaissance n'est plus reçue des autres mais considérée comme un dû. Cependant, grâce à un mécanisme de régulation naturel, la personne qui tombe dans ce travers et qui ne dispose pas de pouvoir de contrainte sur les autres voit ses pairs se détourner d'elle.
Les différents types de reconnaissance
Pour ce qui est de l'augmentation des moyens par l'intermédiaire de l'augmentation du statut social, il faut distinguer plusieurs formes de reconnaissance. Si chacune apporte une forme de pouvoir, il est là aussi nécessaire de voir s'il y est associée ou non une possibilité de contrainte sur les autres.
Le titre honorifique n'est normalement obtenu qu'après la fin de sa participation à un projet. Pour que ce type de reconnaissance fonctionne bien, il faut qu'il n'y ait plus d'implication ensuite dans le projet. Le titre apporte alors une mesure de la reconnaissance obtenue sans apporter de pouvoir. Les seules déviations possibles sont de continuer à avoir une implication et la mauvaise évaluation de la récompense. Celle-ci risque particulièrement d'arriver si seul une personne ou un petit groupe décide d'attribuer le titre. Il est alors possible d'influencer la personne chargée de l'attribution pour obtenir un titre non mérité ou à l'inverse le faire refuser à quelqu'un.
L'estime est obtenue pendant le déroulement du projet et permet à celui qui la reçoit de continuer à agir en attirant plus facilement encore la coopération des autres. Son grand inconvénient est qu'elle n'est pas mesurable (il n'y a pas " d'unité d'estime "), même si elle peut être...estimée. Mais cette forme de reconnaissance apporte de nombreux avantages. L'évaluation se fait en continu et peut augmenter ou diminuer par un phénomène d'autocorrection permanent. L'évaluation est distribuée car elle est réalisée par tous. Elle se fait sur ce que l'on a réalisé et non sur ce que l'on annonce. Elle apporte un pouvoir non contraignant : il sera plus facile d'attirer la coopération des autres mais l'estime ne permet pas d'obliger à coopérer. Enfin dernier avantage, le nombre de personnes qui peuvent recevoir de l'estime n'est pas limité, nous sommes dans une économie d'abondance qui facilite la redistribution de l'estime aux autres.
Le titre opérationnel est obtenu avant de remplir le rôle qui lui est associé. Cette fois, il s'agit d'une mesure facilement identifiable. Mais l'évaluation se fait à un moment donné par une personne ou un petit groupe sur la base de l'estime obtenue dans d'autres rôles. Le titre peut également être obtenu à partir de l'annonce de ce qui va être fait (comme par exemple dans les appels d'offres pour obtenir un contrat). Nous sommes alors complètement dans le domaine du principe de Peters 4 : " Dans une hiérarchie, toute personne tend à s'élever jusqu'à atteindre son niveau d'incompétence ". C'est une des conséquences de ce système d'évaluation " a priori ". Un des points important est que le titre opérationnel donne la plupart du temps un pouvoir de contrainte sur des " subalternes " que l'on voudrait faire coopérer. Enfin, le nombre de postes disponibles est limité et pour pouvoir donner un titre opérationnel, il faut bien souvent en libérer un.
Première règle : faciliter les mécanismes de contrepartie
L'un des rôles fondamentaux du coordinateur d'un projet est de faire en sorte que chacun trouve son intérêt dans la coopération avec les autres. Pour cela il est important d'être attentif de façon continue pour faciliter l'apprentissage de choses nouvelles et les moments de plaisir surtout si ceux-ci sont collectifs.
Le coordinateur doit également être attentif au fait que chacun récolte l'estime qu'il mérite. Faire circuler l'information sur les réalisations de chacun, conserver un historique des réalisations sont des moyens efficaces de faciliter l'autorégulation par l'estime.
Deuxième règle : Permettre à chacun de se voir en construisant par étape
Avant même de réaliser de grandes choses, le membre de la communauté va tester inconsciemment la capacité de la communauté à reconnaître ses résultats.
Nous avons vu que plus la taille des groupes était grande et plus il générait d'opportunités. Cela semble aller à l'inverse de la capacité à recevoir de la reconnaissance, les actions étant noyées dans la masse. Pourtant, il est possible d'être visible même dans les grands groupes car c'est le nombre de contributeurs et non le nombre total de personnes qui compte.
Le nombre de contributeurs réguliers est lui limité. Pour permettre à plus de personnes de s'impliquer, il faut alors progressivement segmenter le projet en sous-projets. Tout l'art du coordinateur consiste à faire progresser son projet au bon rythme depuis une idée unifiée jusqu'à la ramification en sous projets, pour permettre à chaque étape à la fois un nombre minimum de contributeurs et que ce nombre ne soit pas un frein à ce que les contributeurs se voient et soient reconnus.
Troisième règle : Ne donnez pas des titres mais des rôles non exclusifs aux participants
La subtilité entre le titre et le rôle est importante. Le titre apporte une concrétisation d'une reconnaissance. Il est souvent exclusif, ce qui bloque la possibilité d'avoir d'autres personnes qui assument le rôle ouvertement si le niveau d'incompétence est atteint. Par ailleurs le titre s'accompagne souvent d'un pouvoir coercitif qui va à l'encontre des mécanismes de régulations par les participants proposés pour les projets coopératifs.
Le rôle non exclusif lui, permet d'orienter et d'inciter un membre à contribuer (en particulier au début lorsque le nombre des contributeurs est faible ou nul). Mais le rôle doit se conquérir à chaque moment pour recevoir de l'estime en contrepartie. S'il ne s'accompagne pas d'un pouvoir coercitif, la personne ayant un rôle devra motiver d'autres contributeurs s'il veut démultiplier ses résultats suivant un processus proche de celui de la mise en place d'un projet complet. La distribution d'un rôle non exclusif à une personne est une motivation à s'impliquer et peut mener par la suite à la coordination d'un sous-projet fructueux.
Résumé
Pour que les contributeurs les plus innovants s'impliquent de plus en plus et restent motivés il faut faciliter les mécanismes naturels de contrepartie :
Le développement de savoir-faire
Le plaisir
La reconnaissance
Pour cela le coordinateur doit suivre les règles suivantes :
Faciliter les mécanismes de contrepartie (savoir-faire, plaisir, reconnaissance).
Permettre à chacun de se voir en construisant le projet par étape.
Ne pas donner des titres mais des rôles non exclusifs aux participants pour qu'ils s'approprient des morceaux du projet.
Réduire les risques à s'impliquer dans un groupe
Très souvent on anime un groupe avec notre bon sens, en essayant de faire "au mieux". Cela nous permet de comprendre certains aspects du groupe : il manque peut être de la convivialité ou une culture commune, ou bien encore le groupe est trop centré sur lui même. Mais cette capacité à analyser est également, paradoxalement, notre plus grande faiblesse, car elle nous fait oublier tous les autres aspects de notre groupe. C'est ainsi que l'on se focalise sur un aspect du groupe voire deux ou trois, mais en délaissant les autres. Edgar Morin parle "d'aveuglement paradigmatique
1 " :
focalisez-vous sur un problème et tous les autres deviennent masqués !
Nous vous proposons une carte des différentes facettes qui permettent de comprendre ce qui se passe dans votre groupe et des différentes compétences qui permettent d'agir pour le faire naître et le développer. Quelques unes de ces facettes sont contre intuitives, nous les présenterons dès le départ. Cette carte n'est pas le fruit d'une seule personne qui par définition, serait elle-même soumise à l'aveuglement paradigmatique. Elle est issue des échanges au départ des 130 membres du groupe Intelligence Collectif de la Fing
2 et s'est enrichie progressivement des travaux ultérieurs. Muni de ces 28 mots clés, de ces 28 outils, vous et même les membres de votre groupe, pourrez mieux comprendre ce qui se passe dans votre groupe et l'aider à se développer et à s'adapter aux différentes situations.
Un premier aspect contre intuitif : le choix a posteriori
Il existe plusieurs stratégies en fonction de l'environnement dans lequel on se situe :
La planification : dans une situation prévisible mais où les ressources sont rares, il faut prévoir pour optimiser les ressources et ne pas les gâcher ;
La négociation : lorsque les ressources sont rares mais que la situation n'est pas prévisible, la négociation permet de faire un choix au présent à défaut de pouvoir le faire à l'avance. C'est le cas par exemple de la fixation du prix dans l'économie de marché ;
Le choix a posteriori : lorsque l'on peut disposer d'une abondance de ressources (un grand groupe, une information abondante) mais que la situation n'est pas prévisible, alors il vaut mieux susciter une abondance de choix et ne choisir qu'a posteriori , parmi toutes les possibilités. C'est cette approche qui constitue la base de la coopération telle que nous allons la découvrir ;
Souvent nous ne choisissons pas notre stratégie mais utilisons celle que nous maîtrisons, quel que soit le contexte. Il est important de s'adapter à notre environnement pour choisir la meilleure stratégie. Parfois, la situation peut être prévisible pour certaines choses et imprévisible pour d'autres, certaines ressources peuvent être abondante et d'autres rares. Dans ce cas, il faut pouvoir s'adapter et même jongler avec les stratégies. Celle qui concerne
la coopération est assez contre intuitive , car elles nous oblige à ne pas faire les choix le plus tôt possible alors que nous baignons dans une culture de la prévision, et elles nous poussent à travailler avec l'abondance là où nous nous focalisons en général sur ce qui est rare.
La taille des groupes et les rôles des membres
Dès qu'un groupe dépasse le nombre d'une douzaine de membres, chaque personne prend une posture proactive, réactive, d'observateur ou inactive et peut en changer en fonction d'un certain nombre de critères. On observe de façon assez contre-intuitive que
le pourcentage d'actifs reste remarquablement constante 3 : les proactifs sont entre un et quelques pour cent et les réactifs entre dix et quelques dizaines de pour cent.
On peut en déduire
différents types de groupes distingués par le nombre de leurs membres :
Les petits groupes jusqu'à une douzaine de personnes qui peuvent être gérés de façon contrainte (en attendant une action de chacun des différents membres) ;
Les groupes intermédiaires entre une douzaine et une centaine de personnes qui nécessitent plus d'efforts d'animation pour obtenir des réactions ;
Les grands groupes entre une centaine et un ou deux milliers de personnes qui permettent de produire de façon collaborative... à condition de se focaliser sur les réactifs ;
Les très grands groupes intermédiaires de plusieurs milliers de personnes où le groupe que forme les membres proactifs devient plus difficilement cohérent ;
Les très grands groupes au-delà de quelques dizaines de milliers où les proactifs sont suffisamment nombreux pour rendre l'animation moins contrainte ;
Convergence et conflit
On considère souvent implicitement que chacun devrait agir dans l'intérêt du groupe en oubliant son intérêt propre. C'est la définition même de l'altruisme. Bien qu'il existe dans le monde animal et chez l'homme et permette même des avantages de survie dans certaines conditions, il n'est pas aisé à développer dans toutes les situations.
La coopération utilise une approche différente de celle de l'altruisme : elle cherche les conditions qui vont faire converger l'intérêt individuel et l'intérêt collectif. Il existe des cas où naturellement chacun va aller plutôt dans le sens de l'intérêt collectif : dans
un environnement d'abondance se développe une économie du don, différente de l'économie de rareté ; en donnant
une vision à long terme au groupe, les comportements deviennent plus coopératifs ;
les mécanismes d'estime (une forme de reconnaissance attribuée de façon dynamique par l'ensemble du groupe contrairement au prestige) forme un système de régulation qui incite à agir dans le sens de l'intérêt collectif.
Mais
trop de convergence peut transformer le groupe en un troupeau de mouton... Il est bon d'y ajouter
un peu de divergence (d'autres idées voire des façons différentes de poser les questions)
et même un soupçon d'opposition pour permettre une remise en question du groupe. Le rôle du coordinateur est de percevoir l'équilibre entre convergence, divergence et opposition et de pousser l'un ou l'autre pour obtenir un groupe qui avance tout en s'enrichissant de sa diversité.
S'il n'y a que de la convergence et de l'opposition, un conflit apparaît. Une crise est un moment difficile du groupe mais très utile : plusieurs approches obligent à une remise en question. Mais
un conflit contrairement à une crise ne va que dans deux directions : pour ou contre, chacun restant sur ses positions. Pour gérer un conflit, il faut donc le
retransformer en crise en suscitant une troisième position voire plus.
Cartographier les différentes idées des membres en les poussant à y ajouter de nouvelles est une méthode particulièrement utile dans ce cas.
Les trois types d'influence dans un groupe
Les trois premier aspects présentés auparavant illustrent bien
trois grandes dimensions constitutives de tous les groupes : ceux-ci sont influencés par leurs membres bien sûr, mais par l'organisation du groupe et son histoire ainsi que par ses relations avec l'environnement :
La convergence et le conflit illustrent bien l'influence des personnes sur le groupe
La taille du groupe est une donnée spécifique au groupe, indépendamment des particularités de ses membres
L'imprévisibilité et l'abondance qui poussent à faire des choix a posteriori dépendent souvent de l'environnement.
Les facettes suivantes sont rassemblées suivant ces trois grandes dimensions . Celles qui décrivent l'influence des personnes sont accompagnées d'un aspect plus difficile à traiter, même s'il n'est pas toujours négatif (comme le conflit, associé à la convergence, qui permet une remise en question). La facette suivante l'implication, avec son pendant la désimplication, est le quatrième aspect contre intuitif. Les suivants feront bien souvent appel à notre simple bon sens.
Implication et désimplication
On confond souvent la mobilisation et l'implication. Mais si on mobilise des personnes - souvent en les payant - pour qu'elle fassent ce que l'on veut, il faut qu'elle s'impliquent elles-mêmes pour prendre le risque de faire ce qu'elles estiment bonne. En effet, le coordinateur n'est pas toujours sur tous les terrains. Les personnes qui s'impliquent peuvent prendre des initiatives en fonction des informations qu'elles ont et que n'a pas toujours le coordinateur. L'implication est absolument nécessaire dans un environnement imprévisible qui change en permanence, par exemple dans le domaine de l'innovation ou encore lorsque l'on travaille avec des personnes plutôt que des machines ou des objets.
Trois choses influencent le niveau d'implication des personnes :
La motivation (l'estime, le plaisir, apprendre des choses nouvelles...)
Les freins (le manque de confiance, une sécurité personnelle précaire, la crainte de ne pas pouvoir se désengager...)
Le niveau du seuil de passage à l'acte (un projet simple à comprendre, des animateurs réactifs...)
Il faut rester vigilant sur la désimplication qui est une maladie contagieuse dans le groupe. Deux expressions permettent de nous alerter :
" Et puis merde !" (identifié par François de Closet sur les problèmes de l'ORTF, la télévision française à ses débuts)
" C'est pas mon problème !" (on reste mobilisé mais on ne s'implique plus...)
Les autres aspects de l'influence des personnes sur le groupe
Nous avons vu la convergence des idées et des intérêts (et le conflit lorsqu'il n'y a que des pour et des contres) ainsi que l'implication et la désimplication.
Deux autres aspects concernent les personnes : le niveau de conscience de ce qui se passe et les différentes tâches de coordination.
Le niveau de conscience de ce qui se passe dans le groupe est variable. Il est possible que
personne ne soit conscient d'un phénomène particulier. Cela n'empêche pas malgré tout la coopération. Ainsi, la stigmergie est une forme d'auto-organisation utilisée en particulier par les insectes sociaux comme les fourmis ou les termites pour lesquels la communication se fait par les traces que l'on laisse, sans forcément en être conscient.
Si l'animateur devient conscient de ce qui se passe dans le groupe, alors il peut agir pour favoriser certains équilibres (convergence/divergence, taille du groupe, niveau d'implication...). Mais
si les membres eux-mêmes deviennent conscients de ce qui se joue, alors ils peuvent agir sur bien plus de petites choses que ne peuvent le faire le ou les animateurs. L'idéal est d'arriver à un niveau de
conscience collective, c'est à dire que non seulement les membres sont conscients de ce qui se passe mais ils peuvent également en discuter entre eux (contrairement aux "non dits"). Aucun groupe n'est pleinement conscient et il reste même toujours des phénomènes dont personne n'a pris conscience. Mais le but du coordinateur est de favoriser le maximum de prise de conscience individuelle et collective. A l'inverse
toute agression, volontaire ou non, consciente ou non, ouverte ou cachée, provoque la peur ou la colère et
nous ramène à un niveau très bas de conscience. Le travail du coordinateur doit être un combat permanent pour ramener plus de conscience dans le groupe, en réduisant au maximum ses peurs et ses colères pour ne pas devenir lui-même inconscient.
Il existe de multiples tâches de coordination. Certaines sont tournées vers les personnes (faciliter l'implication, faire converger ou diverger, relancer les échanges...), d'autres vers le groupe lui-même (définir les objectifs, conserver l'histoire du groupe, identifier les tâches à faire et les tâches critiques, donner aux membres une vision d'ensemble du groupe et de la diversité des idées...) et d'autres encore sont en direction de l'environnement (valoriser ce qui a été fait...). Certaines tâches peuvent être faites de façon centralisées par le coordinateur ou un groupe de personnes désignées ou bien de façon décentralisées. Cela dépend de chaque groupe et de son niveau de développement (la définition des objectifs, est une des premières tâches qui peut se décentraliser). Mais dans tous les cas, les outils de coordination doivent rester au service des coordinateurs et non les remplacer pour éviter qu'ils ne se défaussent de leur responsabilité.
Très souvent, on cherche Ã
piloter le groupe avec une intention précise. Si cela peut être pertinent pour les aspects spécifiques au groupe lui-même (taille, vocation...), cela ne l'est plus lorsque l'on souhaite que les membres s'impliquent et prennent des initiatives. Cela n'est pas judicieux non plus très souvent pour gérer l'impact qu'à l'environnement sur le groupe car nous n'avons pas toujours de grandes possibilités d'actions.
Dans ces cas il faut piloter le groupe non plus en intention mais en attention . Cela veut dire que nous devons rester vigilant à ce qui se passe et savoir nous adapter en saisissant les opportunités. Il faut même
accepter une petite dose d'incohérence pour permettre au groupe de résoudre des problèmes autrement insolubles...
Les autres aspects spécifiques au groupe
Nous avons vu l'influence de la taille sur les groupes. Il faut y ajouter trois autres aspects spécifiques au groupe lui-même : sa vocation, son niveau de maturité et ses communs.
Il existe
trois types de vocation pour un groupe :
un réseau a pour objectif de mettre en relation ses membres,
une communauté crée avant tout une identité collective et
un groupe de travail a pour but de produire - des documents, des événements... - pour le reste de l'environnement au-delà des membres. On retrouve ici les trois dimensions : personnes, groupe, environnement.
Le ou les coordinateurs doivent identifier la vocation première du groupe sans pour autant négliger les autres.
Un groupe progresse suivant différents
niveau de maturité. Lorsque le groupe est enfant, c'est avant tout le coordinateur qui prend les initiatives (on parle alors de "dictateur bienveillant"). Au bout de 18 mois à deux ans (parfois plus pour des groupes "Tanguy
5 " qui restent très longtemps dans le giron du coordinateur),
le groupe devient adolescent . Certains cherchent alors à prendre des initiatives et cela se fait au début contre le coordinateur. Ils adoptent alors un rôle de "
leader négatif". Cette période parfois dure à vivre comme pour les humains, est fondamentale car elle ouvre la porte à l'appropriation du groupe par ses membres. Pendant cette période, il est difficile souvent pour le coordinateur de se justifier voire de protéger le groupe d'un
leader négatif qui en allant trop loin, met en péril le groupe. Dans la phase suivante,
le groupe devient adulte . Suffisamment de membres se sont appropriés le groupe et sont même prêts à le défendre. Il ne sert à rien de griller les étapes, pour un groupe comme pour un humain, il faut passer par les différentes étapes. Vouloir constituer un groupe adulte de toute pièce dès le départ pourrait s'appeler le "syndrome de Frankenstein"... Parfois
le groupe devient sénile . Il peut alors mourir mais peut-être a-t-il essaimé en donnant naissance ou en inspirant d'autres groupes, s'assurant ainsi une descendance.
Qu'est-ce que partage un groupe ? Il dispose tout d'abord d'
une culture commune (une histoire, du vécut commun, parfois du vocabulaire qui lui est propre...). Mais cette culture est-elle accessible à tous y compris aux nouveaux ? Le groupe a-t-il trouvé un bon équilibre entre son identité collective et l'identité personnelle de ses membres ? Un deuxième aspect à partager est absolument fondamental. Il s'agit
des communs (les informations définissant le groupe, son fonctionnement, ses règles et ses productions, les outils et méthodes utilisés par le groupe...). Sont-ils accessibles à tous facilement, y compris aux personnes à l'extérieur du groupe ? Outre la mise à disposition dans un endroit accessible (
Web ...), il est important que ces communs respectent quelques règles de partage : des licences
Creatives Commons pour les documents (en particulier cc -by -sa qui permet un véritable partage et une amélioration constante
6 ) et des logiciels libres pour les applications (en particulier la licence Gnu
7 ). Les outils et méthodes utilisées dans le groupe doivent permettre à chacun de développer son autonomie personnelle et son rayon d'action sans susciter des maîtres et des esclaves (voir en particulier les règles de Ivan Illich
8 ).
Les autres aspects qui dépendent de l'environnement
Outre la notion de choix
a posteriori qui fonde la coopération lorsque l'environnement est à la fois imprévisible et abondant, il existe trois autres aspects qui dépendent de l'environnement : les contraintes externes, la légitimité et les échanges.
L'environnement peut apporter des
contraintes externes : les attentes sur ce que va produire le groupe, les demandes de la hiérarchie lorsque le groupe est inclus dans une organisation... Mais il y a deux façons de percevoir ces contraintes : elles peuvent paralyser ou au contraire stimuler et pousser le groupe à aboutir à un résultat (sans date limite, il est parfois difficile de terminer une tâche). Il faut donc voir s'il est possible d'organiser le groupe pour que de telles contraintes soient stimulantes plutôt que paralysantes, s'il existe un espace de liberté et s'il faut l'élargir.
Une des plus grandes difficultés est la différence de rythme entre les attentes extérieures et celui de la production dans un groupe. Un autre aspect est de savoir si on cours derrière les demandes externes et les autres groupes qui font des choses proches ou bien si au contraire on a l'impression de
courir devant, laissant les autres nous suivre, ce qui est bien plus confortable.
La légitimité est un peu le pendant vers l'environnement du niveau de maturité qui lui, est interne au groupe. Comme pour celui-ci, on trouve
trois grandes étapes (enfance, adolescence et maturité) : dans un premier temps
le groupe est peu visible de l'extérieur. Dans un second temps il a
tendance a chercher à faire sa place en se positionnant souvent contre les autres groupes qui font des choses similaires. Une fois arrivé à maturité,
le groupe et ses membres sont perçus comme légitimes . Cela devient alors une force pour attirer de nouveaux membres. Certains groupes ont du mal à sortir d'un positionnement "contre", parfois du fait même des objectifs du groupe. Mais se battre contre l'extérieur peut conduire à finir par se battre... contre l'intérieur, et certains de ces groupes vont jusqu'à la désagrégation. Pour assurer une longévité, il peut être important de savoir réorienter ses objectifs et transformer une culture du contre en une culture constructive.
L'équilibre du groupe tient beaucoup à ses
échanges avec l'extérieur . Un groupe échange des idées, des informations mais aussi des personnes (qui entrent mais aussi qui sortent du groupe, certaines pouvant également participer simultanément à plusieurs groupes). Pour que le groupe adopte un "régime équilibré", il faut se poser la question de la
régularité de ces échanges (le groupe est-il resté longtemps sans intégrer de nouveaux membres ?), mais aussi de
leur quantité, de leur qualité et de leur diversité , afin de trouver une harmonie entre l'identité propre au groupe et son renouvellement.
Les compétences de la coopération
Après avoir vu les 16 facettes qui permettent de comprendre ce qui se passe dans un groupe, il nous reste à voir
les 12 compétences qui permettent de mieux agir dans un groupe.
Les compétences liées aux personnes sont utiles non seulement pour les coordinateurs mais également pour les participants. Elles consistent Ã
savoir intégrer des personnes dans un groupe (et s'intégrer soi-même...),
se comporter de façon collaborative, gérer "l'infobésité" (la surinformation qui est inhérente à un environnement d'abondance et de transparence) et
connaître son positionnement (y compris être conscient d'être un simple observateur ou même d'agir en
leader négatif, tout en comprenant qu'il ne s'agit que d'un rôle et quel est sa place dans le groupe).
Les compétences spécifiques au groupe comprennent : comment
démarrer un groupe, le faire vivre, cartographier les idées et les positions 9 (pour produire de l'intelligence collective ou gérer les conflits) et savoir
auto-évaluer le groupe pour comprendre ce qui s'y passe et en débattre avec les autres membres du groupe autant que possible (cette dernière compétence peut être particulièrement utile, au delà des coordinateurs, à transmettre aux membres du groupe eux-mêmes).
Les compétences tournées vers l'environnement consistent Ã
savoir produire (un document peut être produit de façon coopérative - en se répartissant des parties - , ou de façon collaborative - en travaillant sur le même texte - . Il est même possible de produire ainsi à plusieurs centaines de personnes
10 ),
organiser des événements ouverts sur l'extérieur,
documenter ce que le groupe sait faire 11 et enfin
passer à l'échelle . Cette dernière compétence est encore peu répandue mais elle est fondamentale pour démultiplier les résultats de la coopération en touchant le plus grand nombre, y compris les "non militants"
12 .
Pour chacune de ces compétences, il existe plusieurs niveaux que l'on peut parcourir progressivement. Cela peut être facilement illustré avec la capacité à organiser un événement. Au début on peut y
être exposé en assistant à un événement, puis on peut
avoir participé à l'organisation. L'étape d'après consiste Ã
comprendre et savoir expliquer l'organisation d'un événement. On peut ensuite développer une
habilité à faire et même au stade utile être en capacité d'
innover dans ce domaine.
La coopération en 28 mots clés, que faut-il retenir ?
La coopération est parfois mal comprise et donc rejetée comme quelque chose d'utopique ou bien ne pouvant pas être mis en place pour des contraintes de temps ou d'argent. Mais
la coopération c'est avant tout faire converger l'intérêt individuel et collectif. Elle peut faire gagner du temps et de l'argent... ou en perdre 13 . Suivant le contexte (recherche d'innovation, recherche de l'implication des personnes...) et suivant comment elle est mise en place, elle peut s'avérer dans certains domaines bien plus efficace que les autres stratégies.
Il n'est pas aisé de se rappeler les 28 mots clés sans en oublier. Mais heureusement, cela n'est pas nécessaire.
Il est possible de s'aider d'outils . Ainsi,
un auto-questionnaire 14 reprend chacune des 16 facettes qui permettent de comprendre ce qui se passe dans un groupe, sous la forme de questions à se poser. Plutôt que de chercher à l'extérieur du groupe les réponses, il est bien plus efficace de se poser les bonnes questions (y compris avec les autres membres du groupe) car les meilleures réponses dépendent avant tout d'une grande compréhension des spécificité du groupe concerné... et de choix enrichis par une diversité de points de vue.
S'il est utile de disposer d'outils pour retrouver les 28 aspects qui permettent de comprendre la coopération, il est également indispensable de
pouvoir conserver à l'esprit certaines bases dont l'observation doit devenir un véritable réflexe . Les aspects à intégrer sont au nombre de trois. Ils constituent les
"conditions ICE" (Implication, Communs, Echanges) :
- 1. L'implication de quelques personnes : pas tout le monde car, comme nous l'avons vu, les observateurs et les inactifs constituent la majorité dans les groupes dès que l'on dépasse une douzaine de personnes. Cependant, il est indispensable de s'assurer qu'au moins une ou quelques personnes s'investissent dans le groupe et y adoptent une attitude proactive. Se réfugier derrière les outils qui feraient apparaître de la coopération comme par miracle est une utopie pour les groupes en dessous de plusieurs milliers voire dizaine de milliers.
- 2. Des communs accessibles : les fondamentaux du groupe (objectifs, règles de fonctionnement, outils et méthodes utilisés...) sont-ils accessibles à tous y compris les nouveaux ? Les productions du groupe sont elles facilement accessibles et réutilisables y compris en dehors du groupe ?
- 3. Des moyens d'échange : il est important de disposer de plusieurs outils et règles d'échange pour assurer la communication entre les participants qui permettront de faire converger le groupe : en présentiel et à distance, lors de moments synchrones (réunions) et en asynchrone (échanges en ligne par exemple), lors d'échanges organisés et de rapports informels (la "machine à café")...
Ces trois conditions doivent être
mises en place de façon efficace mais également diversifiée (Robert Ulanowicz a montré que la durabilité maximale d'un système dépendait de l'équilibre entre deux aspects antagonistes : 1/3 d'efficacité et 2/3 de résilience par la diversification)
15 .
1 Morin Edgar, « Les cécités de la connaissance : l’erreur et l’illusion » [en ligne], in Les sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur, 1 vol., Paris, France, UNESCO, 1999, p. 5‑14, disponible sur <http://unesdoc.unesco.org/images/0011/001177/117740fo.pdf >, (consulté le 27 janvier 2014).
2 « Le groupe Intelligence Collective de la Fing » [en ligne], disponible sur <http://ic.fing.org/ >, (consulté le 29 janvier 2014).
3 « Règle du 1 % » [en ligne], Wikipédia, disponible sur <http://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A8gle_du_1_%25 >, (consulté le 29 janvier 2014).
4 Closets François de, Le système E.P.M., 1 vol., Paris, France, B. Grasset, 1980.
5 Tanguy est un film d'Etienne Chatilliez relatant l'histoire d'un jeune homme de 28 ans, gagnant bien sa vie mais préférant continuer de vivre chez ses parents, malgré leurs efforts pour qu'il s'installe ailleurs (On parle depuis de "Phénomène Tanguy"). « Phénomène Tanguy) » [en ligne], Wikipédia, disponible sur <http://fr.wikipedia.org/wiki/Ph%C3%A9nom%C3%A8ne_Tanguy) >, (consulté le 29 janvier 2014).
6 « Creative Commons — Attribution - Partage dans les Mêmes Conditions 3.0 France — CC BY-SA 3.0 FR » [en ligne], disponible sur <http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/fr/ >, (consulté le 29 janvier 2014).
7 « Licences - Projet GNU - Free Software Foundation » [en ligne], disponible sur <http://www.gnu.org/licenses/licenses.fr.html >, (consulté le 29 janvier 2014).
8 Illich Ivan, La Convivialité, Points Essais, Paris, Éditions du Seuil, 2003. et « Outil convivial » [en ligne], Wikipédia, disponible sur <http://fr.wikipedia.org/wiki/Outil_convivial >, (consulté le 29 janvier 2014).
9 Voir : "Cartographier pour donner une vision d'ensemble"
10 Voir : "Comment produire un document à plusieurs centaines de personnes"
11 Voir : « Des recettes libres pour documenter nos savoir-faire » [en ligne], Imagination For People, disponible sur <http://imaginationforpeople.org/wiki/workgroup/animfr/les-recettes-libres >, (consulté le 29 janvier 2014).
12 Voir : Gladwell Malcolm, The tipping point: how little things can make a big difference, 1 vol., New-York, Etats-Unis, Back Bay Books, 2002. et traduction française : Gladwell Malcolm, Le point de bascule: comment faire une grande différence avec de très petites choses, trad. Charron Danielle, 1 vol., Montréal, Canada, Éd. Transcontinental, 2003.
13 Voir : "La coopération expliquée à mon beauf'"
14 Voir le questionnaire : "Comprendre par vous-même ce qui se passe dans votre groupe"
15 Ulanowicz Robert E., A third window: natural life beyond Newton and Darwin, West Conshohocken, Pa., Templeton Foundation Press, 2009.