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Réduire les risques à s'impliquer dans un groupe

Paradoxe : seuls ceux qui ne font rien ont du temps

Sans doute, si vous avez déjà cherché à rassembler des personnes, êtes-vous tombés sur ce curieux paradoxe : Ceux qui pourraient apporter le plus à une communauté sont soit déjà impliqués dans d'autres groupes, soit ils sont en train de monter leur propre projet. Ils n'ont donc pas le temps nécessaire pour s'investir dans votre projet.

D'autres encore n'ont pas la sécurité matérielle suffisante pour s'engager.

Il reste une troisième classe de personnes qui participent à de très nombreux projets. Ils se joindront avec joie au votre. Mais s'ils peuvent apporter la richesse des liaisons avec d'autres groupes, ils n'auront ni le temps ni l'intérêt de contribuer fortement à votre projet.

Le paradoxe pourrait s'énoncer ainsi : "Sauf exception, les meilleurs contributeurs n'ont pas le temps de s'investir dans votre projet."

Réduire les risques lors de l'engagement

Ceux qui sont sollicités souvent pour participer aux projets ont pris l'habitude de d'abord dire non et éventuellement de réfléchir ensuite. Pour n'avoir que très mal suivi cette règle, je me suis souvent retrouvé surchargé par de trop nombreux engagements. Cela ne peut se faire qu'au détriment de son implication dans les projets auxquels on participe ou que l'on monte.

Cette fois encore, il est nécessaire de faire jouer les mécanismes de régulation. Quelqu'un qui arrive dans un projet ne peut jamais être certain que celui-ci est réellement intéressant pour lui ou même qu'il le restera. Il faut donc minimiser le risque de s'engager dans un nouveau projet.

Pour cela il existe deux critères :

Première Règle : chacun doit disposer d'une sécurité matérielle

Il est nécessaire que chacun ait résolu ses problèmes de sécurité matérielle :


Le financement direct des personnes pour un projet pose des problèmes d'acceptation par les autres personnes non rémunérées et d'obligation de résultats qui imposent d'autres méthodes de travail. Une personne peut cependant être salariée par une organisation participante au projet. Elle est alors payée pour son rôle de lien avec le projet plutôt que directement pour le travail qu'elle fait dans le cadre du projet.

Les communautés ouvertes et fermées

Un domaine important dans la mise en place des projets coopératifs concerne l'aspect ouvert ou fermé des groupes.

Si un coordinateur constitue une communauté d'utilisateurs qui ne peuvent que difficilement faire le choix de sortir de la communauté, alors la communauté est dite fermée. Si au contraire la communauté permet à tout utilisateur de sortir aisément, si les contributions peuvent venir de toute personne, alors la communauté est ouverte. Il semble que quelques règles se détachent pour former un groupe ouvert :


La mise en place d'une communauté ouverte d'utilisateurs-contributeurs est un choix préférable à celui d'une communauté fermée.

Les sectes sont des groupes fermés. L'appartenance à d'autres groupes tout comme la sortie de la secte sont fortement découragés. Le gourou dispose de plus d'un pouvoir de contrainte sur ses membres.

Les critères que nous avons donnés ne concernent pas le mode d'entrée dans la communauté. Il existe des cas où des communautés mettent des freins à l'entrée en utilisant la cooptation ou d'autres mécanismes. Il en existe plusieurs types tels que le noyau de coordination d'un projet lorsqu'il comporte plusieurs personnes ou la communauté des coordinateurs de projet.

Noyau de coordination et groupe de pilotage

Nous avons vu que la grande différence entre les contributeurs et les coordinateurs résidait dans le côté critique ou non critique des tâches exécutées. Ainsi le noyau de coordination d'un projet peut parfois comprendre plusieurs personnes. Dans ce cas, il est préférable de choisir très soigneusement l'équipe de coordination dont chaque membre prendra en charge des tâches critiques. La cooptation est alors le meilleur système. C'est au coordinateur principal de choisir ses partenaires et d'assurer la cohérence de l'équipe.

Les utilisateurs ne choisissent pas chaque membre du noyau de coordination mais sanctionnent l'efficacité de l'équipe de coordination en contribuant ou au contraire en sortant de la communauté. L'information dont ils disposent est un critère clé pour éviter les déviations. Paradoxalement, le fonctionnement est similaire à une bourse de valeurs ou d'un marché financier : On "parie" sur une idée, sur une stratégie, sur une équipe et la sanction est l'accroissement de la demande du titre.

Dans tous les cas, il est préférable que le noyau de coordination (et également le nombre de tâches critiques) reste le plus petit possible pour éviter la complexité grandissante imposée par la loi de Brooks. Dans l'idéal, le coordinateur est seul.

Une solution consiste à former un groupe de pilotage. Celui-ci rassemble des membres de la communauté auxquels on a donné des rôles (non exclusifs et non critiques) pour qu'ils prennent en charge des tâches dont aucune n'est vitale pour le projet. Un tel groupe de pilotage non critique permet alors de disposer de contributeurs particulièrement actifs qui peuvent même prendre en charge la coordination d'un sous projet sans que la défaillance de l'un d'eux ne mette le reste du projet en péril.

La communauté des pairs

La communauté des coordinateurs de projets est un cas de communauté par cooptation : les personnes rentrent dans la communauté lorsqu'elles sont reconnues par leurs pairs. Ici, la communauté n'a qu'un but d'échanges. N'ayant rien à produire en commun, il n'y a pas de tâches critiques. Elle sert principalement à apporter des échanges et de la reconnaissance entre ses membres. Une telle communauté fermée est cependant dangereuse si la reconnaissance n'est basée que sur ses membres et non sur une communauté ouverte d'utilisateurs-contributeurs.

Ainsi, dans les logiciels libres, il existe deux types de communautés. Les hackers (également appelés hackers éthiques pour les distinguer des autres) : Il s'agit souvent de personnes qui mettent en place des projets coopératifs de développement de logiciels libres. Ils tiennent leur reconnaissance (et donc leur statut de hackers), non seulement de la communauté des hackers, mais également des utilisateurs-contributeurs de leurs communautés ouvertes.

Les communautés d'intérêt comme celles des hackers protègent leur cohérence de l'extérieur par des mécanismes de sélection :


A l'inverse, les " crackers " sont des pirates informatiques qui développent en secret des virus ou piratent des sites Internet. La communauté des crackers est formée des personnes qui se reconnaissent entre eux comme crackers. S'ils ont l'équivalent d'utilisateurs (qui le sont bien malgré eux !), ils n'ont pas de communauté ouverte de contributeurs. La régulation par l'implication des utilisateurs-contributeurs ne peut pas se faire.

Une communauté dont l'entrée n'est pas ouverte n'est donc pas nécessairement une mauvaise chose si elle permet de constituer un noyau de coordination cohérent par cooptation ou permet des échanges entre des personnes ayant une culture commune. Cependant elle doit permettre la sortie et la multi-appartenance pour rester ouverte et elle doit être basée sur d'autres communautés ouvertes pour permettre les mécanismes de régulation de la reconnaissance et ainsi éviter les déviations.

Deuxième règle : Entrer dans un projet ne doit être un engagement ni à y contribuer ni à y rester

Cette "ouverture" peut apparaître comme un inconvénient, et il semblerait plus intéressant à court terme de rendre ses utilisateurs "captifs". Mais la véritable évaluation du projet passe par l'estime qu'en ont les utilisateurs qui choisissent de contribuer ou au contraire de partir. Les remises en questions imposées par cette évaluation permanente poussent le projet vers un cercle vertueux de qualité. Bien sûr le coordinateur garde cependant le pouvoir d'exclure un membre qui perturberait le fonctionnement d'ensemble.

Résumé

Pour que les bons contributeurs ne perçoivent pas la participation à votre projet comme un engagement à risque, il faut à la fois qu'ils aient une certaine sécurité matérielle mais aussi que le groupe soit ouvert.
Un groupe ouvert permet à chacun de sortir à tout moment et encourage la multi-appartenance à l'initiative du membre.

Pour minimiser le risque de s'engager dans un projet il faut :

  • Disposer d'une sécurité matérielle pour chacun.
  • Entrer dans un projet ne doit être un engagement ni à y contribuer ni à y rester.


L'implication : abaisser le seuil de passage à l'acte

Paradoxe : le train est parti

Si vous arrivez juste à temps pour attraper votre train, vous pourrez monter dedans et voyager comme prévu. Si vous arrivez 20 minutes à l'avance, vous avez une marge de sécurité et la durée totale de votre voyage (attentes comprises) sera allongée de 20 minutes. Mais si vous arrivez quelques secondes après le départ du train, alors tout votre voyage est chamboulé car vous avez raté votre train !

Nous avons souvent une vision linéaire des choses. Mais de nombreux phénomènes se produisent de façon non linéaire en fonction d'un seuil. Un domaine où l'on rencontre souvent ce genre de seuil et de basculement est la psychologie.

Abaisser le "seuil de passage à l'acte"

Le passage à l'acte chez l'être humain correspond à un basculement brutal. La théorie mathématique du chaos exprime bien le seuil qui fait passer de l'attitude passive à la coopération5. Ce seuil dépend de chaque personne mais aussi de l'environnement.

Exemple : inciter à l'action en envoyant un message électronique

Prenons par exemple un message Internet demandant aux utilisateurs de regarder une page spécifique de votre site web. Si l'adresse de la page est dans le message et que l'utilisateur n'a plus qu'à cliquer, vous aurez bien plus de personnes qui iront voir votre page que si vous considérez qu'ils ont déjà l'adresse de votre site et qu'ils peuvent très bien se débrouiller pour la retrouver. L'ennemie dans ce cas est la phrase que l'on entend beaucoup trop dans des projets : "c'est leur problème !".
Si le coordinateur propose dans un message à ses utilisateurs de contribuer activement, il doit redonner tous les éléments afin que ceux qui reçoivent son message n'aient pas à rechercher des informations supplémentaires pour contribuer. Sinon il ne pourra que se lamenter du manque de dynamisme de ses utilisateurs. Il en sera pourtant le premier responsable. Réfléchissez un instant aux différentes fois dans votre vie où vous vous êtes impliqués et à celles où finalement vous n'avez rien fait. Votre attitude dépendait de votre intérêt direct pour ce qui est proposé, de la dynamique du groupe, mais aussi de petits détails apparemment insignifiants qui ont facilité ou non votre première action.


Donner l'autorisation d'utilisation et de modification a priori grâce à une licence plutôt que d'imposer une demande d'autorisation avant toute action est un autre exemple d'éléments qui facilitent le passage à l'acte.

Première règle : KISS (Keep It Simple and Stupid - Restez bête et simple)

Un projet trouvera des contributeurs si ceux-ci arrivent à comprendre ce qu'a voulu faire l'initiateur. A chaque étape, les choix doivent être simples et compréhensibles. Ce sont d'ailleurs le plus souvent les solutions simples qui sont les meilleures.

Il existe une règle d'or pour faciliter les actions des contributeurs. Elle tient en 4 lettres :
K.I.S.S (Keep It Simple and Stupid - Restez bête et simple).

Ne considérez surtout pas que tous les participants à votre projet ont une compréhension aussi bonne que vous qui en êtes au coeur. Il y a plusieurs raisons pour cela :

Les informations que vous communiquez à vos participants doivent probablement être plus facilement compréhensibles avec votre tournure d'esprit qu'avec la leur.
Vos participants n'ont pas eu accès à l'ensemble des informations, en particulier celles qui vous ont semblé suffisamment évidentes pour que vous ne leur transmettiez pas.
Enfin, même si certains contributeurs peuvent être très impliqués, ils le seront toujours moins que vous et donc sélectionnent et assimilent mieux le sous-ensemble des informations qui les concerne dans le projet.

Deuxième règle : Soyez réactif avant tout

A l'opposé, un projet présenté de longue date et qui ne démarre pas laisse le participant potentiel dans une attitude de non-participation qu'il sera difficile de lui faire quitter. Attention donc aux promesses d'actions qui sont retardées. Ces retards au démarrage sont fréquents dans les projets traditionnels basés sur des contraintes (par exemple financières). Ils tuent la motivation et l'opportunité de faire basculer les participants potentiels vers la coopération.

Être réactif... Cette règle peut sembler toute simple mais c'est souvent elle qui fait la réussite ou l'échec de l'implication des personnes. Il faut bien comprendre que le mécanisme qui permet d'agir évolue dans le temps. Plus le temps passe et plus il devient difficile d'agir. A chaque instant le seuil se met à remonter.

En gestion du temps, il est toujours recommandé de commencer tout de suite ce que l'on a à faire. Sinon il faudra encore plus de volonté pour le faire plus tard. La "maladie" qui consiste à reporter à plus tard s'appelle la "procrastination".

Si vous souhaitez coordonner un projet, ne cherchez pas à être simplement réactif : cherchez à surprendre vos membres en étant hyper-réactif ! Vous verrez qu'ainsi, non seulement vous habituerez vos contributeurs à être eux-mêmes réactifs, mais également ils se sentiront plus reconnus, si vous réagissez promptement à leurs suggestions et vous sauverez également un temps énorme simplement en réagissant souvent et rapidement.

Résumé

Outre l'augmentation de la motivation et la minimisation des risques, le secret de l'implication est dans l'abaissement du seuil de passage à l'acte.

Deux règles sont indispensables pour abaisser le seuil
  • KISS (Keep It Simple and Stupid - Restez bête et simple)
  • Le secret : soyez hyper-réactifs


1 François de Closet, "Le système EPM. Et puis merde", Paris, Ed. Grasset
2 Norbert Alter, "Sociologie de l'entreprise et de l'innovation, Paris, PUF, 1996
3 Théorie des files d'attentes (queeing theory) en recherche opérationnelle, voir par exemple http://chronomath.irem.univ-mrs.fr/LudoMath/ro.html "methods of operations research", par P.M. Morse et G.E. Kimball, Chapman et Hall, Londres, 1950
4 Laurence J. Peters & Raymond Hull, "The Peter Principle : why things always go wrong", Morrow William & Co (1969) "in a hierarchy, every employee tends to rise to his level of incompetence." Voir également une interview de Peters sur http://www.reasonmag.com/9710/int.peters.html
5 Voir par exemple sur http://www.ping.be/chaoflight/pageen/bookchaos.htm et en particulier : Ilya Prigogine, "les lois du Chaos", Flammarion, Paris 1997

Source : Jean-Michel Cornu - La coopération, nouvelles approches. [en ligne]. [Consulté le 29 janvier 2014]. Disponible à l’adresse : http://www.cornu.eu.org/texts/cooperation

Crédits photo : Via catalana by SBA73 sur Flickr - CC-BY-SA
Mots clés :

Règles du pédagogue

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Description : Nous notons ici quelques principes auxquels il faut penser en construisant son action de formation.